Marie-Jeanne

Richard n’a jamais connu son père. Il ignore même si sa mère serait capable, seize ans plus tard, de retrouver parmi tous ses amants de l’époque le nom de celui qui fut, peut-être sans le savoir, le père d’un enfant « de famille monoparentale »

Mais qu’importe ? Richard ne s’est jamais senti abandonné. La maison de son enfance grouillait   d’amis de Marie-Jeanne, qui deve­naient aussi, de bonne grâce, ses propres copains.

Ajoutez à ça que Richard était plutôt bon élève, qu’il se faisait un devoir de rendre Marie-Jeanne heureuse, et vous aurez le tableau idyllique d’un couple d’amoureux platoniques, Marie-Jeanne, 35 ans, libraire, et Richard, son fils, 16 ans, étudiant.

Richard se souvient des longues soirées passées à la maison ou chez des amis de Marie-Jeanne, des joueurs de guitare, des réfugiés exotiques, des immenses plats de spaghettis, de l’odeur douce et enivrante de la fumée, une fumée qui ne ressemblait guère à celle des gros messieurs à cigares.

Est-ce lui qui, après l’école, a initié ses complices aux délices clandestines du shit ? Est-ce lui qui a roulé pour eux le premier joint ? Ou s’est-il contenté de suivre le mouvement, comme s’il se fût agi, somme toute, d’un passage obligé, d’un banal rite initiatique sans lesquels on n’accède pas vraiment à l’âge adulte ?

Ce qui est sûr, c’est que l’usage de ces petites drogues lui paraissait normal. En les découvrant lui-même, il ne faisait que reproduire les gestes qu’il avait observés – et qu’il observait encore parfois – avec Marie-Jeanne et ses amis. D’une certaine manière, cette banalisation le privait d’ailleurs un peu de cette excitation qu’éprouvaient les autres collégiens de son âge, l’attrait de l’interdit.

Richard n’a jamais rien caché de tout cela à Marie-Jeanne. Elle n’a a jamais tenté de le lui interdire, ni même de l’en dissuader. Elle s’est contentée de le mette en garde contre deux dangers. D’abord les flics et les conséquences que pourrait avoir une arrestation, même brève, sur la poursuite de ses études. Ensuite la mauvaise habitude de certains dealers qui, pour s’attacher leurs clients et les rendre dépendants, ajoutent au hasch un peu de drogue dure, cocaïne ou autre. Richard a semblé comprendre et a répondu qu’il ferait attention.

Marie-Jeanne était seule à la maison, en ce triste mercredi soir de novembre. Elle lisait en attendant le retour de Richard, sorti avec des copains. On a sonné, elle a ouvert. Richard était là, escorté par deux gars, à peine plus âgés que Richard et vêtus, eux aussi, de l’inévitable jean et de l’inévitable T-shirt. Ils  ont pénétré dans le salon et ils ont raconté comment, deux heures plus tôt, ils étaient interve­nus au moment où, devant un troquet de la vieille ville, Richard ache­tait une plaquette de shit à un dealer connu pour ses dangereux mélanges.

C’était la première fois que Richard se faisait prendre. Il n’y eut pas de suite mais il fut bien clair qu’à la prochaine incar­tade, ces messieurs ne pourraient pas passer l’éponge. Ce serait le début d’ennuis sans fin, juge pour enfants, suivi psycho-social. Peut-être même placement en centre fermé.

Marie-Jeanne savait qu’il était inutile d’interdire à Richard de fumer. Comment accepterait-il de considérer comme mauvais ce que sa mère n’avait cessé de faire quand il était enfant. Mais Marie-Jeanne, si elle n’avait rien contre le hasch, ne voulait pas que Richard bascule vers la cocaïne. Ou pire. Elle ne voulait pas non plus qu’un juge le lui retire pour le placer dans une quelconque institution.

C’est ainsi qu’avant-hier  Richard a passé, seul, sa première nuit à la maison. La veille, Marie-Jeanne avait été interpellée par la police, dans l’arrière-boutique d’un magasin de fringues en soldes, alors qu’elle achetait à un étudiant syrien cinquante grammes de hachich de première qualité, dont l’odeur même ne laissait aucun doute. Pur Moyen-Orient, sans adjonction et, donc, sans danger.

Le vendeur, dans l’espoir d’une petite remise de peine, avait complaisamment livré le nom de tous ses clients connus. Pour ce qui concernait Marie-Jeanne, il n’avait pas caché qu’elle n’en était pas à son premier achat épisodique mais que, depuis quelques semaines, elle venait deux fois plus souvent.

Pour éviter à Richard les risques de la drogue dure et la sanction de la société, Marie-Jeanne, 35 ans, sa mère, venait de perdre sa liberté, son travail et peut-être même la garde de son fils de seize ans.

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